rien de nouveau!

…A-t-il murmuré suffisamment fort pour que j’entende. J’ai répondu, certainement aussi fort que lui : « hum, j’ai pas de piles non plus. »

Il a tourné la tète vers moi avec un léger sourire « tu as une belle voix, tu pourras chanter ? »

« Ou pas…y’a beaucoup de monde, je suis timide » ai-je rétorqué en lui rendant son sourire.

Voila, depuis un an que je prends le tgv je me suis toujours demandé comment j’aborderai un bogoss qui se retrouverai par un chanceux hasard assis à coté de moi. J’ai ma réponse : je n’ai pas à l’aborder, on s’aborde mutuellement, il suffit d’un sourire. Un sourire et celui là même qu’il m’a adressé quand je suis entrée dans le wagon avec ma grosse valise, en regardant mon billet place 23 « heu…je dois être là » il s’est écarté et j’ai soulevé ma grosse valise a bout de gras pour la mettre en haut. Il m’a regardé l’air étonné alors qu’il allait m proposer de m’aider. Puis il est sorti.

J’ai sorti mes affaires en cherchant mon mp3, plus de piles, et j’ai jeté un coup d’œil dehors…il fumait sa clope, j’ai remarqué qu’il avait de beaux yeux, et une certaine classe. en fait il était beau je crois...

Quand les micros on annoncés le départ je l’ai vu réapparaitre et je lui ai demandé s’il me laissait m’asseoir coté fenêtre. « Bien sur, c’est ta place de toute façon »

Il me tutoyait,  j’ai bien aimé.

Le train a démarré tout doucement, je regardais la vitre avec concentration, pour ne pas regarder ailleurs, les mains immobiles sur ma tablette pour éviter tout geste nerveux, le train s’engageait sur les voies de sortie et cahotait un peu.

« t’as pas du papier ? ….pour dessiner….je m’emmerde »

J'ai laché ça comme ça, puis je me suis sentie vulgaire, mon traitre naturel? Il a pas eu l'air surpris plus que ça...

Il a réfléchi un instant et m’a regardé en hochant négativement de la tète. Ce n’était pas grave. Alors que je fouillais dans mon sac en désespoir de cause, espérant y trouver quelque chose, il désigne une enveloppe déchirée. A la limite pourquoi pas…j’irais pas loin mais c’est mieux que rien. J’ai posé mon crayon sur l’enveloppe, et j’ai murmuré « maintenant je vais réfléchir a ce que je vais dessiner. »

« Fais mon portrait »

….

J’ai souris, pas très originale comme idée, mais elle était bienvenue. Je lui ai dis que j’étais d’accord, mais qu’il y’avait une chance sur deux pour que ce soit réussi. Il a dit que la seule fois ou on lui avait fait son portrait c’était au pied de la tour Eiffel que c’était un chinois qui avait mis trois heures et qui lui avait réclamé cinquante dollars a l’arrivée. J’ai répondu que je ne prenais pas les dollars et qu’en l’occurrence je ne pouvais pas dépasser mon heure de trajet, œuvre achevée ou pas. Il a rigolé, et je lui ai demandé de pas faire de remarque pendant ma création. Il a d’abord trouvé que sa tète était énorme, puis il a critiqué son oreille, ses cheveux, il n’avait pas de crête, et son cou était tordu, il avait pas un si petit nez…

Quand j’ai terminé cinq minutes après, je lui ai tendu, et j’ai précisé qu’il était dans les cinquante pour cent de chance de rater, alors il a dit qu’il trouvait ça très bien. J’ai voulu le ranger dans mon sac mais il me l’a réclamé, si j’étais d’accord pour lui offrir. J’étais parti pour arracher l’envers de l’enveloppe. L’enveloppe avait servi a faire voyager mes billet de train du mois d’aout, ma mère l’avait adressé a Edouard, à Brillon, l’adresse de chez lui et avait écrit « pour Mathilde » à coté. Il me dit de laisser l’enveloppe en état, sauf si j’en ai besoin « nan nan, j’suis bête, tiens prend le tout ».

« Mathilde ? »

« Oui c’est moi »

Il m’a demandé de quelle origine c’était…qu’est ce que j’en sais moi ! J’ai dis que j’étais française, mais que sur les carte postales pétées où on examinait l’étymologie des prénoms j’avais vu que c’était d’origine germanique, soit disant. Il trouvait que ça sonnait plutôt espagnol, moi pas du tout, les "ch" ca sonne bien barbare, genre Childéric, et autres francs saliens... On s’est mis a parler de langue, le chinois c’est léger, reposant, l’allemand c’est agressif, grossier, l’américain c’est snob, l’italien c’est musical…je lui ai fait remarquer que toutes nos idées reçues on les tirait d’impressions superficielles crées par les films, même si personnellement je n’ai jamais posé un pied en dehors de la France, le monde on le perçoit essentiellement par le cinéma, on aura plutôt tendance à personnifier l’allemand sous les traits d’un grand SS blond méchant, le chinois sous les traits d’un petit homme jaune maigrelet et souriant, l’américain comme un riche homme d’affaire et l’italien sous les traits d’une cantatrice. Il a acquiescé en me regardant avec intérêt, c’est vrai a-t-il dit, ce ne sont que des associations d’idées finalement, j’ai rajouté que dans « joyeux noël » quand Diane Kruger parlait allemand c’était pas du tout agressif, qu’on trouverait un gros rappeur américain beaucoup plus agressif…suffisait d’avoir la bonne image à associer à la langue.

Puis on a parlé d’études, il a un master de droit européen je sais plus quoi…il s’est lancé dans une explication compliquée des potentiels débouchés, j’avais du mal à être intéressante moi avec ma petite année d’histoire des arts foirée de surcroit… je lui ai demandé ce qu'il voulait faire avec son droit, il m'a dit qu'il savait pas trop encore. J'ai dis avocat, il m'a dit qu'il aurait du mal à dormir en sachant qu'il défendrait un sérial killer pédophile. J'ai dit que je comprennais...qu'il fallait avoir une conscience morale assez solide...et qu'on avait pas forcément envie de s'en faire une.

Puis on a parlé de plein d’autres choses, sans voir le temps passer, j’avais pas encore parlé à un inconnu aussi intéressant, avec autant de complicité. On était pratiquement d’accord sur tout, et j’avais l’impression de pouvoir enchainer sur n’importe quoi. Je me suis rendu compte que j’avais des reflexes d’autocensure…quand on a voulu parler musique on a discuté cinq minutes sans que l’idée de lui dire que j’étais musicienne ne me vienne à l’esprit. J’aurais voulu parler musique classique pendant les heures avec, parce que c’était la première fois que je tombais sur quelqu’un qui s’y intéressait. Il s’exprimait bien, il m’a dit qu’il avait un bac L, qu’il aimait beaucoup lire, est ce que je lisais ? On a parlé de villes, de Paris, et Lille…et il m’a dit

« Tiens, en partant tu me donneras ton num, si tu veux te balader dans Lille un jour… »

J’ai accepté, mais j’aurais pu lui passer directement, sans attendre de sortir du train…je ne l’ai pas fait.

Quand on est arrivé, il m’a dit qu’il n’avait pas vu passer le temps

« merci »

« Mais de rien, je fais poste radio aussi… »

….un blanc…

« Si c’était le cas j’aurais pas autant parlé »

J’ai souris.

Il était quand même super beau, c’est son intelligence qui était peinte sur son visage, dès que je l’ai vu. Il avait les cheveux courts, bien coiffés, et un sourire magnifique, chaleureux. Quand il s’est levé, j’ai vu qu’il faisait une tète de plus que moi, et qu’il avait la classe à chaque mouvement qu’il faisait. Il a voulu attraper ma valise, et il s’est mis à rire

« aah ! En fait c’était une feinte tout à l’heure, t’as voulu jouer les costauds mais y’a rien dans ta valise ! Tiens. »

« Merci ! »

Il devait aller à Montmartre mais il ne savait pas ou c’était. J’ai posé mon doigt sur la vitre en disant « c’est là bas, regarde, le Sacré cœur, tu vois ? »

« oui, le dôme, là bas ? »’

« voila…attend, je dois bien avoir un plan de Paris dans ce bordel »

Il a regardé mon sac

« ah oui, en effet, tu m’as l’air d’une fille organisé »

« ça doit être mon coté masculin qui ressort, je sais pas, tiens, voila un plan de Paris, Pocket et tout ! J’te le laisse si tu veux, Montmartre c’est ligne 4 »

C’est drôle, en partant je le tutoyais comme un vieux pote, alors que j’avais du mettre un quart d’heure à arrêter de le vouvoyer… on a marché sur le quai tout le deux, il m’a proposé une clope, non merci, « te laisse pas influencer, la clope ça rend moche, ça serait dommage que tu te mettes à fumer ».

Oh le compliment subtil et délicat,...et moi paf, dans le panneau, je me laisse flatter, hum...!

En arrivant devant les panneaux, j’ai vu mon train affiché tout en haut, je me suis tourné vers lui pour lui faire la bise « je me dépêche ! Mon train part à l’ instant ! Bon courage ! À bientôt ! »

Et j’ai disparu… intérieurement je voulais qu’il me court après pour me demander mon numéro, qu’il veuille me revoir…mais c’est dans les films tout ça…même en pleine gare ça n’arrive pas.

J’ai pris mon train et pendant tout le trajet j’ai ruminé ma connerie et mon manque de tact, j’aurais pu me retourner pour lui demander son tel, en faisant mine d’avoir oublié ! Mais non… j’étais persuadée que je n’avais aucune chance de le retrouver. Je connaissais sa fac, je savais où il habitait…mais non je ne le rêverai pas. Et puis en ruminant dans mon lit cette nuit je me suis repassé le film en retour rapide et j’ai réalisé un truc…mon dessin, son portrait il était sur mon enveloppe, avec mon prénom et l’adresse d’Edouard…il une piste lui… s’il veut me retrouver il peut.

Dans le sud on dit Adieu pour dire bonjour, seulement je suis du nord….

Adieu garçon.